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Pourquoi‌ ‌une‌ ‌présomption‌ ‌de‌ ‌contrainte ‌ne‌ ‌changerait‌ ‌rien‌ ‌au‌ ‌seuil‌ ‌d’âge‌ ‌?‌ ‌ ‌

Pourquoi‌ ‌une‌ ‌présomption‌ ‌de‌ ‌contrainte ‌ne‌ ‌changerait‌ ‌rien‌ ‌au‌ ‌seuil‌ ‌d’âge‌ ‌?‌ ‌ ‌ Posted on 17 décembre 20201 Comment

Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a recommandé que soit fixée dans la loi une présomption de contrainte lorsqu’une personne majeure commet un acte sexuel sur un mineur de 13 ans, dans son appel du 20 novembre 2020 pour « protéger efficacement les enfants victimes de violences sexuelles et lutter contre l’impunité des agresseurs ». 

Cette proposition exprime l’intention louable de protéger les enfants des violences sexuelles qui ne sont pas aujourd’hui correctement sanctionnées. Actuellement, la loi pénale exige une violence, contrainte, menace ou surprise pour que soit caractérisé le viol (si pénétration) ou l’agression sexuelle (en l’absence de pénétration). La loi prévoit, que lorsque la violence, la contrainte, la menace ou la surprise ne sont pas caractérisées, l’enfant soit considéré comme consentant, y compris en dessous de 15 ans. Ces actes sont alors qualifiés de simple atteinte sexuelle. 

Pour sortir de cette impasse du « consentement » de l’enfant le HCE a proposé une « présomption de contrainte ». Sur le plan juridique cette présomption est inopérante. Le CPLE préconise donc la création d’une infraction autonome, solution la mieux adaptée pour protéger les mineurs de 15 ans.

1- Le système de la présomption ne fonctionne pas

Tout d’abord, le principe même d’une présomption de contrainte ne peut être retenu. 

  • Si la présomption est simple, elle ne résout rien. 

En effet, si la preuve de l’absence de contrainte peut être rapportée, cela revient encore à admettre la possibilité d’un pseudo consentement de l’enfant, ce qui n’est pas acceptable. 

Il est intéressant de noter à cet égard les remarques du rapport, rendu par la députée Alexandra Louis le 4 décembre 2020, sur les précisions apportées par la loi Schiappa à l’alinéa 3 de l’article L. 222-22-1 du Code pénal sur la contrainte morale ou la surprise : « Lorsque les faits sont commis sur la personne d’un mineur de quinze ans, la contrainte morale ou la surprise sont caractérisées par l’abus de la vulnérabilité de la victime ne disposant pas du discernement nécessaire pour ces actes ». 

Alexandra Louis indique que certains juristes interprètent ces précisions comme une présomption simple qui déplacerait la charge de la preuve en présumant l’existence d’une contrainte ou d’une surprise subie par le mineur. Elle note que « toutefois, la Cour de Cassation n’ayant pas encore eu à connaître de cette question, cette interprétation reste à ce jour incertaine » (p. 125 du rapport). Et justement, la Cour d’Appel de Versailles a récemment pu, malgré ces nouvelles dispositions, requalifier des faits de viol sur mineur de 14 ans en atteinte sexuelle, estimant que la victime était consentante. Cette décision montre ainsi qu’une présomption simple ne constitue donc pas une protection suffisante du mineur de quinze ans.

  • Si la présomption est irréfragable, elle est contraire à la présomption d’innocence. 

Le HCE recommande une présomption de contrainte irréfragable car, selon lui, « seule la présomption de contrainte sans qu’il soit possible d’apporter la preuve contraire traduit la réalité de l’acte choisi par la personne majeure et imposé à l’enfant de moins de 13 ans ».

Par définition, une telle présomption irréfragable de contrainte ne pourrait être renversée. Mais il serait contraire à la présomption d’innocence (Etablie par l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen intégrée au bloc de constitutionnalité) qu’un élément constitutif de l’infraction soit présumé sans que la preuve contraire ne puisse être rapportée.

Le rapport Louis du 4 décembre 2020 rappelle d’ailleurs bien que l’option d’une présomption irréfragable avait été écartée dans les débats préalables à la loi de 2018 et il cite à cet égard la décision du Conseil Constitutionnel du 16 juin 1999.

Dans cette décision, le Conseil a rappelé qu’il « résulte de la présomption d’innocence qu’en principe le législateur ne saurait instituer une présomption de culpabilité en matière répressive ; toutefois de telles présomptions peuvent être établies, notamment en matière contraventionnelle, dès lors qu’elles ne revêtent pas un caractère irréfragable, qu’est assuré le respect des droits de la défense et que les faits induisent raisonnablement la vraisemblance de l’imputabilité » (Cons. Const. 16 juin 1999, n°99-411 DC ). 

En 2011, il a censuré la loi LOPPSI II qui avait selon lui pour effet d’instituer à l’encontre du représentant légal d’un mineur, une présomption irréfragable de culpabilité par les dispositions permettant de punir ce représentant légal pour ne pas s’être assuré du respect par le mineur d’une décision de couvre-feu (Cons. Const. 10 mars 2011, n°2011-625 DC Décisions citées dans le Répertoire Dalloz de droit pénal et de procédure pénale, Preuve, Charge de la Preuve, §28, octobre 2020. Auteur : Jacques Buisson).

La CEDH, quant à elle, admet l’existence de présomptions dans le droit interne à condition que la présomption de culpabilité ne soit pas irréfragable et qu’elle ne porte pas atteinte aux droits de la défense  (Ibid § 29).


2- La contrainte ne doit pas faire partie de la définition de l’infraction

Compte-tenu du caractère insuffisant de la présomption simple de contrainte, et du caractère inconstitutionnel ( Et contraire aux droits de l’homme) de la présomption irréfragable, la contrainte ne doit pas faire partie de la définition de l’infraction, ni présumée, ni à prouver : il n’est pas nécessaire de considérer que l’adulte a forcé l’enfant, même de façon présumée. Quand bien même surviendrait une situation dans laquelle l’enfant demanderait l’acte sexuel à l’adulte, c’est à ce dernier de le refuser sous peine de se rendre coupable du délit.

Peu importe que l’adulte ait suscité, forcé, suggéré, contraint ou non l’acte. Il suffit que l’acte soit volontaire de sa part, la qualification ne dépendant ensuite que du fait qu’il y a eu pénétration ou non. 

3- La nécessité d’une infraction autonome

Le HCE récuse l’idée d’une « infraction autonome qui incriminerait (sur le modèle de l’atteinte sexuelle) tout acte de nature sexuelle perpétré par une personne majeure sur un.e enfant », au motif que « elle méconnaît la prise de pouvoir de l’adulte sur le corps et le psychisme de l’enfant et il est essentiel de nommer pénalement, dans la loi, le viol ou l’agression sexuelle sur mineur qui résulte du caractère forcé de l’acte imposé à l’enfant ». 

Au contraire, il n’est pas nécessaire ni même opportun de « nommer pénalement le viol ou l’agression sexuelle » pour caractériser des actes impliquant des adultes et des enfants : en effet, le viol et l’agression sont par définition imposés et contraints. L’usage de ces termes évoquera donc toujours la référence à une contrainte avec, sous-jacente, la possibilité que l’acte ne relève pas de la qualification de viol ou l’agression si cette contrainte n’existe pas. 

Employer le terme de viol et d’agression sexuelle pour des actes que l’absence de contrainte ne requalifierait pas sera toujours ambigu. 

C’est pourquoi, une infraction autonome est non seulement possible mais même préférable à celle de viol et d’agression sexuelle, comme le suggère le rapport d’Alexandra Louis du 4 décembre 2020, ces termes ne convenant pas pour désigner un acte dans lequel la contrainte n’est pas un élément de définition de l’infraction.