Par Anne Revah-Levy, Professeur de pédopsychiatre
Pour être discernant, attribuer du sens aux actes qu’on effectue, il faut être devenu un sujet en lien avec un autre. Cette construction est progressive et donne une place singulière au sexuel.
Étude sur l’initiation sexuelle
Avant de me pencher sur cette question je voudrais faire référence à une étude publiée en septembre 2019 par une revue scientifique américaine. Des femmes de 18 à 45 ont été interrogées entre 2011 et 2017 sur leurs souvenirs d’initiation sexuelle forcées et consenties. 6,5% des femmes disent avoir subi des relations sexuelles vers 15 ans et demi avec un homme d’environ 27 ans. Pour les relations sexuelles consenties elles avaient 17 ans et demi et l’homme environ 21 ans. Cela permet de mettre en lumière la différence entre les vraies expériences sexuelles et celles qui sont subies.
I- Le développement de l’enfant
1- Bébé et la relation à l’autre
Le bébé est un être qui vit dans un monde de sensations chaotiques. Il ne sait pas ce qui lui arrive, s’il a mal, faim, sommeil…le bébé ne donne pas de sens. C’est la proposition maternelle de soins qui va donner du sens aux différentes expériences sensorielles : pleurs, faim…
Ce n’est que par le biais de l’autre que le bébé a le sentiment d’exister, d’être soi.
Le petit est très longtemps soumis aux besoins d’organisation par le monde extérieur.
2- L’enfant et la relation à d’autres
Entre 6 et 11 ans, il va faire face à ses besoins par une tentative de découvrir son propre corps, et de trouver des modalités d’auto-apaisement, masturbation, et amitiés qui ne mettent pas en jeu un corps érotique.
3- L’ado en quête de narration
Ce n’est pas parce qu’on est dans une potentialité sexuelle vers 13 ou 14 ans que quelque chose de de la sexualité est advenu. Les ados sont consommateurs d’expériences (pornographie, réseaux sociaux…) qui cherchent à organiser quelque chose. Les adultes ont parfois l’impression que si on parle du sexuel ça parle aussi d’eux-mêmes. Mais non. C’est à l’adulte de garder une distance, de réaliser que cette sexualité ne s’adresse pas à lui, de restituer à l’ado les enjeux de sa propre quête dans un environnement qui lui correspond avec des ados de son âge qui sont au même niveau de sa quête psychique.
La quête d’une sexualité est chez l’ado une quête de narration, de mise en sens. Qu’est-ce que je ressens ? Quel sens je lui donne ? Comment je le vis ? L’adolescent va chercher lui-même à donner du sens.
Un sujet devient soi quand il est parvenu à articuler les données du dedans à sa propre narration identitaire.
II – Le discernement chez l’enfant
1- Les niveaux intéractionnels
Ce n’est qu’à l’adolescence que va émerger la possibilité de la relation à soi puis à l’autre. Avant le soi de l’enfant se dissout dans la relation à l’autre, ce qui ne lui permet pas d’être discernant.
Pour qu’un sujet consente, discerne, il existe 3 niveaux de négociations : de soi à soi, de soi à un autre, de soi à un contexte. Et il faut déjà être parvenu à la négociation de soi à soi, hors c’est extrêmement tardif dans le développement de l’enfant.
Si un enfant a des comportements qui ont l’air de chercher de la sexualité ce sont des tentatives d’organisation d’expériences chaotiques et intenses, d’organisation du sexuel qui doivent trouver un adulte qui se tienne à distance. Le monde extérieur ne doit pas y participer.
Le corps érotique est une notion qui n’existe pas en tant que telle chez un enfant, chez un adolescent. Le corps érotique appartient aux adultes qui ont terminé leur construction. Chez les ados, il y a un corps qui est pris par les enjeux du sexuel mais qui n’est pas le corps d’une transaction de la sexualité. La transaction de la sexualité est du sexuel articulé à une histoire sur le désir, sur l’altérité, sur les fantasmes et on n’en est pas là avant assez longtemps.
Quand on voit que la sexualité consentie est à 17 ans et demi, ce n’est pas un discours théorique, c’est un discours sur comment un sujet s’approprie l’organisation du sexuel en lui.
2 – Discernement et lien au réel
Pour discerner, attribuer un sens à un acte, il faut avoir une représentation de ce qu’est la réalité. Pour l’enfant, la réalité est très longtemps sa réalité intérieure. Jusqu’à 7 ou 8 ans et les adultes vont là encore donner du sens, faire la différence avec imaginaire et réalités partagées. Cet accompagnement sur la réalité psychique est très lent et progressif.
Il y a à partir de l’adolescence une telle effervescence interne, une pression du dedans qui va à nouveau coloniser le monde extérieur. Et même si l’adolescent est parvenu à une différenciation entre Soi et non soi, l’effervescence pubertaire va venir effacer le soi et le non-soi en mettant au dehors des dimensions internes au sujet. L’ado voit dans la réalité extérieure beaucoup de messages sexuels. C’est sa propre effervescence sexuelle qui vient se répandre.
La responsabilité organisationnelle du monde adulte c’est de pouvoir réadresser au sujet que sur cette réalité un peu confuse de la sexualité dedans, dehors, il y a un travail qui n’est pas terminé.