Propositions d’amendement législatif
Dans les situations de violences physiques, psychologiques ou sexuelles commises par un parent sur son enfant ou sur l’autre parent, la mise à l’abri de l’enfant victime ou co-victime est une nécessité impérieuse et urgente. L’éloignement du parent mis en cause permet à la fois la cessation des violences, mais permet également de renforcer les garanties des enquêtes pénale et sociale en assurant de meilleures conditions de témoignage pour l’enfant.
Pourtant, il arrive très fréquemment que le parent mis en cause ne soit pas éloigné de l’enfant tant que l’enquête pénale n’a pas été terminée et que le parent n’est pas condamné. Il en résulte, d’une part, que l’enfant victime ou co-victime subit les violences ou l’exposition aux violences durant de nombreux mois supplémentaires, alors même que les autorités de justice et les institutions sociales sont informées d’une situation présumée de grave danger. D’autre part, le parent protecteur qui refuse de remettre l’enfant à la résidence de l’autre parent s’expose à de lourdes sanctions pénales pour non-représentation de l’enfant.
Le code civil, en son article 373-2-8, permet déjà au ministère public de saisir à tout moment le juge aux affaires familiales (JAF) « à l’effet de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale ». Il est donc parfaitement possible, lors d’un signalement ou d’un dépôt de plainte, que le procureur de la République informe sans délai le juge aux affaires familiales afin que ce dernier puisse prendre les mesures d’urgence qui lui paraîtraient nécessaires au vu des éléments du dossier. Selon l’expérience de nos associations, cette faculté du procureur de la République n’est jamais mise en application, et les autorités attendent la fin de la procédure pénale pour se prononcer sur l’exercice de l’autorité parentale du parent mis en cause. De surcroît, les parents protecteurs, mais également leurs avocats, ne savent pas toujours qu’il n’est pas nécessaire d’attendre la condamnation du parent présumé auteur de violence pour statuer sur l’exercice de son autorité.
C’est la raison pour laquelle le CPLE recommande :
- de rendre la saisine du juge aux affaires familiales par le ministère public obligatoire dès lors que ce dernier reçoit un signalement ou une plainte à l’encontre d’un parent suspecté soit d’être auteur, coauteur ou complice d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de son enfant, soit d’être auteur, coauteur ou complice d’un crime ou délit sur la personne de l’autre parent ; et ce, sans automaticité de la suspension de l’autorité parentale et sans préjudice de la présomption d’innocence ;
- d’astreindre le juge aux affaires familiales, dans de telles circonstances, à statuer dans des délais contraints.
Le CPLE propose les amendements suivants :
Après l’article 77-4 du code de procédure pénale, il est inséré un article 77-5 ainsi rédigé :
« Dès lors que des investigations sont initiées, dans le cadre d’une enquête préliminaire, à l’encontre d’un parent suspecté soit d’être auteur, coauteur ou complice d’un crime ou d’un délit commis sur la personne de son enfant, soit d’être auteur, coauteur ou complice d’un crime ou délit sur la personne de l’autre parent, le procureur de la République saisit sans délai le juge aux affaires familiales au titre de l’article 373-2-8 du code civil aux fins de statuer sur l’exercice de l’autorité parentale du parent mis en cause, notamment sur les droits de visite et d’hébergement, et le cas échéant le juge des enfants. Le ministère public met à disposition des magistrats l’ensemble des éléments d’enquête en sa possession. »
Le CPLE propose également l’ajout d’un alinéa à l’article 373-2-8 du code civil, comme suit :
« Le juge peut également être saisi par l’un des parents ou le ministère public, qui peut lui-même être saisi par un tiers, parent ou non, à l’effet de statuer sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant.
« Lorsque le juge est saisi par le ministère public au titre de l’article 77-5 du code de procédure pénale, il est tenu de statuer dans un délai de six jours. S’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de violence allégués, le juge ordonne la suspension des droits de visite et d’hébergement du parent mis en cause, et le cas échéant modifie les modalités d’exercice de l’autorité parentale. »
La loi prévoit déjà la possibilité de saisir le JAF. Quelle est donc l’utilité de cet amendement ?
Si la loi donne déjà pouvoir au ministère public de saisir le JAF à tout instant, cette faculté n’est, en réalité, jamais mise en application. Le parquet devrait solliciter l’examen des situations de violences présumées dès la réception des plaintes ou dénonciations, tandis que, dans les faits, le JAF n’est souvent sollicité par le parquet qu’au moment des condamnations pénales, qui surviennent plusieurs mois, voire plusieurs années après le début des enquêtes.
Il est donc nécessaire que la loi ne donne plus seulement au ministère public la faculté, mais l’obligation de saisir le JAF, afin de véritablement instaurer une protection rapide pour les victimes. C’est d’ailleurs l’une des recommandations de la CIIVISE, visant à ce que l’enfant soit protégé dès les premières révélations.
Cet amendement remet-il en cause la présomption d’innocence ? Risque-t-on de séparer des familles sur la base de simples dénonciations ?
L’amendement du CPLE ne vise pas à suspendre automatiquement l’autorité parentale, mais à saisir automatiquement le JAF afin qu’il se prononce sur l’opportunité ou non de suspendre les droits de visite et d’hébergement, ou l’exercice global de l’autorité parentale. Ainsi, le magistrat aura toute liberté d’apprécier les éléments de la situation qui lui seront transmis, et pourra également ordonner l’ouverture d’une enquête sociale. Si les éléments de la plainte ou du signalement ne lui semblent pas suffisamment probants pour statuer sur la suspension de l’exercice de l’autorité parentale du parent mis en cause, le JAF pourra simplement ordonner un statu quo.
En revanche, le JAF sera tenu d’apporter une réponse dans un délai de six jours, aux fins de s’assurer que les éventuelles mesures de protection qui s’imposent soient ordonnées le plus rapidement possible. En effet, de la même manière que le législateur a pu organiser la protection des femmes victimes de violence conjugale par le mécanisme de l’ordonnance de protection, l’enfant doit, lui aussi, pouvoir être rapidement mis à l’abri des violences qu’il subit.
L’aménagement de l’exercice de l’autorité parentale est déjà prévu dans l’ordonnance de protection des femmes victimes de violences conjugales. Cela ne suffit-il pas ?
Selon les informations rapportées dans l’exposé des motifs de la proposition de loi Santiago, en 2019, près de 86 000 enfants subissaient directement des violences intrafamiliales. Or, un rapport du Sénat révélait que, la même année, seules 4 145 ordonnances de protection avaient été délivrées en 20211 — sans savoir si des enfants étaient impliqués —, ce qui illustre l’insuffisance notoire de ces ordonnances pour pouvoir protéger les enfants des violences. En outre, les ordonnances de protection reposent intégralement sur la demande formulée par les femmes victimes auprès des JAF, et toutes les femmes victimes de violences conjugales ne connaissent pas nécessairement ces ordonnances, ou ne décident pas de s’en saisir. Par ailleurs, il existe des situations de violences dans lesquelles il n’existe pas de parent protecteur.
Il importe donc que la mise à l’abri des enfants ne reposent pas uniquement sur les actions posées par les mères, mais qu’elle repose sur la responsabilité des l’ensemble de la communauté éducative : sphère familiale élargie, professionnels de l’éducation, de la santé, du travail social et psychologique, etc. Si un adulte quelconque émettait un signalement auprès du parquet, la proposition du CPLE garantirait un examen rapide de la situation de l’enfant au regard de l’exercice de l’autorité parentale.
1 Rapport du Sénat no 21 par Mme Jocelyne Guidez, fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales.
Les amendements du CPLE entraîneraient-il une saturation des services judiciaires ?
Les propositions du CPLE entraîneraient inévitablement une hausse des dossiers transmis par le ministère public au JAF, puisque c’est l’objet-même des amendements susmentionnés. En revanche, la saturation des services judiciaires ne paraît pas être un argument convaincant.
D’une part, le JAF serait libre de statuer sur le fondement des seuls éléments transmis par le parquet, et ne serait pas tenu d’ordonner des enquêtes sociales. L’examen des signalements transmis pourra donc se faire de manière rapide. D’autre part, il arrive de toute façon que les JAF soient saisis une fois que les procédures pénales arrivent à leurs termes. La proposition du CPLE n’ajoute alors pas de travail supplémentaire, mais ne fait qu’avancer les saisines. Enfin, tandis que M. Emmanuel MACRON, au deuxième tour des élections présidentielles, déclarait qu’il ferait de l’enfance la priorité de son quinquennat, on ne peut tolérer que des mesures éminemment protectrices des enfants soient rejetées au motif qu’elles ne permettraient pas de faire des économies budgétaires, comme s’en inquiétait M. Éric DUPOND-MORETTI lors des débats en première lecture de la proposition de loi Santiago à l’Assemblée nationale.