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Inceste et pédocriminalité : la loi sur les seuils d’âge va-t-elle dans le mur ?

Inceste et pédocriminalité : la loi sur les seuils d’âge va-t-elle dans le mur ? Posted on 6 avril 2021

Avant la seconde lecture à l’Assemblée, 38 associations saisissent le Défenseur des enfants et les présidents de la commission indépendante sur les violences sexuelles et l’inceste quant au risque de censure du Conseil Constitutionnel (CIIVISE)

Lettre ouverte à Monsieur le défenseur des enfants et Madame et Monsieur les présidents de la commission indépendante sur les violences sexuelles et l’inceste

Madame, Messieurs,

Comme vous le savez, deux textes d’origine parlementaire réformant la répression des violences sexuelles commises sur les mineurs pour renforcer leur protection, sont en discussion devant la représentation nationale.

Le texte porté par Madame la sénatrice Billon est soutenu par le gouvernement et doit être débattu devant l’Assemblée Nationale au mois d’Avril. Le 18 février dernier l’Assemblée Nationale a voté à l’unanimité la proposition de loi déposée par Madame la députée Santiago.

Ces deux textes instaurent un seuil d’âge de 15 ans en dessous duquel l’acte sexuel commis par un adulte sur un mineur sera considéré comme une infraction sans avoir à caractériser la contrainte. Ce seuil est fixé à 18 ans en cas d’inceste.

Cependant le risque qui plane sur ces textes et qui est souvent mis en avant lors des débats sur la répression des violences sexuelles sur mineur est celui de l’inconstitutionnalité. Les textes votés tentent chacun à leur manière de répondre à ce risque. Ainsi la protection des enfants devient un enjeu constitutionnel !

Définir l’enfance et la protection qui lui est due est un enjeu de société fondamental. Définir un droit de l’enfant à la protection qui ne soit tributaire d’une interprétation déjà construite pour le droit des adultes est absolument nécessaire.

Aussi, au regard de vos missions, pour le défenseur des enfants, de garantir l’application de la convention internationale des droits de l’enfant qui stipule dans son article 3, que «  Dans les décisions des organes législatifs qui concernent les enfants, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale » et pour la commission sur les violences sexuelles et l’inceste, de mieux connaitre et d’analyser les réalités des violences sexuelles, le Collectif pour l’enfance souhaite connaitre votre avis sur les risque d’inconstitutionnalité des textes en présence.

Il convient en effet que ce débat juridique mais aussi démocratique soit clarifié par toutes les instances concernées par la protection de l’enfance et la définition de l’inceste dont la société française va se doter en fixant les limites de l’interdit. Des éminents juristes, hauts magistrats siègent auprès de vous, il nous semble donc que vous avez toutes les compétences techniques pour éclairer le débat.

Pour notre part, nous analysons deux fragilités du texte voté au Sénat :

  • La condition de l’écart d’âge supérieure à 5 ans entre l’auteur et la victime pour constituer une infraction autonome (art. 222-23-1), nous semble introduire un risque d’inconstitutionnalité en démultipliant les régimes applicables et en le rendant donc peu lisible. Par ce fait, le principe de légalité des délits et des peines paraît compromis.

Par ailleurs, l’instauration de réponses juridiques très différentes selon le seul âge de l’auteur alors que les faits répréhensibles sont identiques (une victime de viol de 14 ans pourrait voir les faits requalifiés en simple délit si l’agresseur a 18 ans et demi, alors que la qualification ne pourrait qu’être criminelle si l’auteur a 19 ans et demi…) peut interroger quant au respect du principe d’égalité devant la loi pénale.

  • La condition d’autorité de droit et de fait pour définir les faits d’inceste (art.222-23-2) lorsqu’il s’agit d’auteurs qui ne sont pas les ascendants crée deux définitions légales de l’inceste dans le même texte et constitue ainsi un risque sérieux d’inconstitutionnalité.

Ces deux points ont déjà amené des professeurs de droit ou le Syndicat de la Magistrature par exemple, à alerter quant à une possible censure par le Conseil Constitutionnel.

Ces failles sont cumulatives et conduiront en outre à de vraies difficultés opérationnelles. Ainsi, aucune des nouvelles dispositions votées par le Sénat ne permettrait de poursuivre en pratique l’inceste commis par un grand-frère de 18 ans sur sa sœur de 13 ans et demi. On retomberait donc dans le viol « classique » avec le questionnement du « consentement » de l’enfant à l’inceste, ce que le législateur voulait justement écarter.

Le gouvernement argumente que ces ajouts sont nécessaires pour également limiter le risque d’inconstitutionnalité, en préservant le principe de l’individualisation de l’infraction et des peines.

Vos instances ne peuvent pas rester silencieuses dans ce débat de société si crucial, qui ne se résume pas à un débat de juristes. La protection de l’enfance est l’affaire de tous et d’autant plus de ceux qui ont mission de la faire vivre auprès de tous.

Il serait en effet déplorable qu’après tant de débats, tant de souffrances révélées, tant d’incompréhension vis-à-vis de la justice, les réponses parlementaires soient censurées parce que nous ne savons pas ou nous ne voulons pas faire coïncider respect de la Constitution et protection effective des enfants. Notre projet commun de société en serait profondément abimé.

Dans l’attente de votre analyse, nous vous prions d’agréer, Madame et Messieurs, l’expression de nos salutations les plus respectueuses

 

        Le Collectif Pour l’Enfance

 (38 associations et personnalités)