Par Carine durrieu diebolt, avocate
et Laetitia dhervilly, juge et directrice de la formation à l’ENM.
Carine Durrieu-Diebolt, Avocate dans l’affaire Pontoise
Dans cet affaire la jeune fille de 11 ans a subi des actes sexuels avec pénétration, mais comme pour la plupart des violences sexuelles sur des enfants, il n’y a pas eu de violence (« pas de traces sur le corps », « pas de traces matérielles »). Sa seule réaction a été la sidération mentale face à son agresseur, une réaction classique des victimes de violences sexuelles. Et donc c’était la contrainte morale ou la surprise qui pouvait être retenue. Le parquet y a vu une difficulté et a préféré immédiatement qualifier les faits en atteinte sexuelle sur mineurs pour assurer une peine comme me l’a confié le procureur.
La requalification en atteinte sexuelle
La qualification de l’infraction signifiait à la victime qu’elle avait été consentante parce qu’on ne retenait ni la contrainte, ni la surprise et qu’on ne lui a même pas laissé la chance d’en débattre puisqu’il n’y avait pas d’instruction envisagée.
Lorsque la famille et la victime sont venues me voir, elles étaient scandalisées et ils étaient prêtes à un procès pour qu’on requalifie les faits en viol. J’ai pris des conclusions en requalification, en arguant de la législation européenne qui en général retient une présomption de non consentement.
J’ai écrit un article dans une revue juridique sur cette affaire. Mediapart est tombé dessus et s’est emparé de cette question de la présomption de non consentement.
La loi Schiappa n’a rien changé sur ce point
La loi Schiappa est passée par là de manière insatisfaisante et incomplète. Nous n’avons pas eu de présomption de non consentement. Le débat sur la contrainte et sur la surprise demeure, comme le besoin d’une expertise sur la maturité sexuelle de l’enfant. Difficulté en matière de preuve à rapporter en ce qui concerne la contrainte et la surprise et difficulté en matière d’expertise. Comment mesurer la maturité sexuelle, lorsque l’expertise est effectuée des années plus tard ?
Cela permet des défenses très agressives
De plus, et c’est ce qui s’est passé dans l’affaire de Pontoise, on peut avoir des Défenses très agressives, du type “les enfants d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier et à 10 ans ou 11 ans, ils sont hyper sexualisées”
Sur une affaire à Bourges, deux sœurs de 13 et 16 ans avaient dénoncé des viols et agressions sexuelles commis par un voisin de 70 ans. La défense était extrêmement agressive, elle disait que les jeunes filles “étaient provocantes, qu’elles portaient des décolletés, qu’elles avaient des shorts courts, qu’elles se frottaient en passant derrière le vieux monsieur, qu’elles le cherchaient”. Lui disait qu’il était tombé dans le piège des gamines, c’était sa défense. Défense traumatisante pour les victimes. Il a pu utiliser cette stratégie parce qu’il n’y a pas de présomption de non consentement. En l’occurrence il a contesté la contrainte et la surprise parce qu’il pouvait le faire.
Sans cette présomption de non consentement on a des procès sur-traumatisants pour les enfants victimes de violences sexuelles. À cette violence première s’ajoute la violence de la procédure pénale.
Laetitia Dhervilly, juge et directrice de formatrion à l’ENM
Un procureur de la république c’est celui qui dirige les enquêtes, reçoit les comptes-rendus des enquêteurs. Un enquêteur ne peut rien faire sans le procureur puisque ses démarches engagent des atteintes aux libertés : interpellation, audition…cela doit rester dans un cadre légal. Pour les victimes c’est le procureur qui décide des réquisitions, des expertises et de l’orientation de la procédure.
La victime rapporte ce qu’elle a vécu, le policier fait un procès-verbal, rend compte de son enquête, soumet des preuves, le procureur qualifie les faits.
Une délicate qualification des faits pour le procureur
Cette responsabilité est très lourde pour le procureur qui doit trancher : est-ce un délit, est-ce un crime ? Ce domaine d’infractions sexuelles commises sur les mineurs fait appel à des compétences particulières. L’audition du mineur, l’expertise médicale, l’expertise psychologique…ce sont elles qui vont permettre d’orienter la procédure.
Il y a les textes et la pratique, l’expérience de nos enquêtes, de nos victimes, l’expérience de savoir recueillir la parole d’un enfant permet d’avoir un faisceau d’indices pour considérer que l’acte a été commis et qu’il n’y a pas de consentement.
Quand l’acte sexuel est constitué, il n’y a pas grande différence entre nouvelle et ancienne loi. On avait déjà l’appréciation de la différence d’âge entre victime et auteur. Le viol sur mineur, moins de 15 ans, plus de 15 ans engage des peines différenciées et une procédure qui se différencie sur la qualification.
Qualifier avec l’ancienne loi
Il faut rechercher le consentement quel que soit l’âge, le seuil de 15 ans dans l’ancienne loi ne déterminait que l’aggravation de la peine.
Dans l’affaire de Pontoise, il y avait une différence d’âge importante, 11 ans-28 ans. Or, dans le droit jurisprudentiel la différence d’âge existait et allait de soi. Nous praticiens avons tous été choqués par la requalification dans cette affaire.
Dans la plupart des juridictions, c’était le cas dans ma pratique sur Paris, un enfant de moins de 13 ans (seuil assez pertinent) ne consent pas à un acte sexuel c’est une présomption qu’on appliquait de fait. Nous n’avions pas besoin de texte.
S’il y a un acte avec pénétration, un crime, dans la majorité des cas, un procureur ouvre une information judiciaire. Il n’y a pas de débat là dessus et il ne doit pas y en avoir. Donc pour un enfant de 11 ans victime d’un acte sexuel on doit se donner les moyens de rechercher contradictoirement l’ensemble des éléments de preuve pour vérifier dans quel contexte ça s’est passé, de toute façon il y a une infraction. Même si à la fin on est sur l’atteinte sexuelle.
Qualifier avec la nouvelle loi
La nouvelle atteinte est moins dangereuse pour les victimes puisque la peine est aggravée de 5 à 7 ans encourus. De plus, selon les consignes données au procureur “on ne dit pas que c’est une atteinte parce qu’il y a consentement mais parce qu’on a pas réussi à prouver l’agression ou le crime”. Obtenir des acquittements était plus grave et plus traumatisant pour la victime. L’instruction pénale est une violence pour les victimes, les cours d’assises ont désormais obligation de demander aux jurés « est-ce qu’on peut requalifier en atteinte sexuelle » ce qui est une évolution intéressante et permet d’éviter des acquittements.
Pourquoi on correctionnalise ? Pour des questions difficilement admissibles. La correctionnalisation est pratiquée parce qu’on a des flux à gérer, des cours d’assises surchargées. On va passer de 3-4 ans devant une cour d’assises à 18 mois devant un tribunal correctionnel. Le procureur doit décider du plus opportun pour la victime, pour qu’elle se reconstruise, pour que la peine soit plus lourde. Ce qui est parfois le cas devant les juges professionnels. Pour le parquet, il est très dangereux de soumettre, à un jury de non spécialistes, des dossiers sur lesquels il faut se prononcer sur le consentement et l’absence de preuve. Cela donne beaucoup d’acquittements.
Comment mieux qualifier ?
Nous avons été interrogés par la commission des lois du Sénat pour la préparation de cette loi. Nous avons expliqué que nous n’avions pas besoin de seuil d’âge mais besoin de moyens, de formations, de spécialisation des magistrats pour permettre de bonnes pratiques.
Il est très compliqué pour les praticiens d’appliquer ce texte. Il faut se former à voir ab initio, travailler avec des enquêteurs qui savent recueillir la parole de l’enfant parce qu’ils le font tous les jours, travailler avec des pédopsychiatres qui savent objectiver une absence de consentement ou une absence de discernement, travailler avec des avocats et des procureurs spécialisés qui font ça tous les jours. Il y a une dimension, à saisir, au-delà de l’âge, le contexte de révélation et la temporalité.
Sur le consentement de la victime
Si vous voulez un seuil, plutôt 13 ans, âge qui va dans le même sens que la responsabilité pénale. En terme d’analyse de maturité il y a une forme de cohérence. Le débat a finalement été déplacé autour d’une présomption.
Nous avons une circulaire de Belloubet sur la loi de 2018 qui dit “vous devez considérer que, quand il y a une très grande différence d’âge entre l’auteur et la victime, c’est quasiment une présomption”. C’est un guide qui j’espère fera progresser.
Le procureur de la république doit respecter les politiques pénales. Il reçoit des circulaires pour interpréter et mettre en œuvre les textes dans la pratique.
Avant on se posait la question du discernement comme suit : Est-ce que cette enfant de 11 ans était plus mature que les autres ? Le nouveau texte dit on ne doit plus réfléchir comme ça. Aujourd’hui il ne faut plus raisonner sur un discernement global mais sur un discernement à l’acte sexuel. On a basculé sur la notion de maturité, de discernement.